merci a JN (paix) pour avoir retrouvé cette vidéo
Le Service des Phares et Balises est né en France en 1792,
à une époque
où la Révolution française œuvrait pour le bien de la collectivité. Au
fil des années, un plan général d’éclairage des côtes du pays est conçu
puis réalisé. En 1860, le littoral français est le mieux équipé au
monde : une ceinture de phares et de tourelles, dotés de lanternes,
d’optiques et de feux très modernes préviennent les marins des dangers.
Cependant, la charge de l’allumage est confiée à des soumissionnaires
jusqu’en 1848. Après cette date, les gardiens de phares deviennent
fonctionnaires; ce sont d’anciens marins souvent peu qualifiés pour
cette tâche. Alors que les phares étaient l’objet de toutes les
attentions, leurs gardiens furent longtemps considérés comme des agents
subalternes à qui il était inutile d’apporter un enseignement
particulier. Une conscience professionnelle se fait jour petit à petit,
mais il faut attendre les années 1920, après la Première Guerre
mondiale, pour que le ministère des Travaux publics se charge de la
formation théorique des gardiens.
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Les derniers gardiens de phare
Le
10 avril 1990, Daniel Tréanton et Michel Le Ru, les deux gardiens
d’Armen quittent définitivement leur phare, hélitreuillés par une
Alouette de la sécurité civile. C’en est fini d’une présence humaine
qui a duré plus de cent dix ans : le feu a été modifié pour être
entièrement télécommandé depuis la terre. L’ère de l’automatisme est
arrivée.
Faut-il s’en réjouir ou le déplorer ? Certains disent qu’un
phare sans homme n’est presque plus un phare ! D’autres plus réalistes
rappellent qu’Armen (dans la chaussée de Sein ) était le pire "enfer"
du Finistère. La relève, racontent les gardiens, c’était la roulette russe du
phare, car en hiver on perdait presque toujours. Pendant des semaines,
la mer tremblait, tournait, grondait, soufflait, éclatait, autour du
rocher. Le temps était exécrable. On ne sortait pratiquement jamais, de
peur des vagues sourdes qui vous enlevaient sans crier gare. On se
souvenait du gardien Plouzennec, qui avait été emporté par la mer le 17
janvier 1921, par un temps apparemment calme. Une vague silencieuse,
une seule mais énorme, avait suffi. Ses collègues l’avaient vu dériver
pendant une centaine de mètres avant qu’il ne sombre à tout jamais.
Pour les marins chargés des navettes, la relève, c’était vogue la galère. Début
décembre 1922, le patron ravitailleur avait tout laissé tomber. Pas
rentable, disait-il, trop de navettes pour rien. Il allait au phare
mais s’apercevait finalement que le transbordement était impossible du
fait de l’état de la mer. En revenant bredouille, il ne recevait aucun
dédommagement. Il avait donc abandonné sa concession de 45 frs par
trajet réussi. Le phare avait été finalement ravitaillé un mois plus
tard par le baliseur Léon-Bourdelle et un ancien gardien de l’île de
Sein avait repris péniblement les navettes. Il devait en faire au moins
trois par mois. Peine perdue, bien sûr. " Encore une idée de Parisien",
disait-on dans l’île. De fait, c’est toujours la mer qui décidait si le
voyage valait le coup. Impossible parfois d’approcher le phare ou
d’accrocher le ballon, ce siège en liège qui permettait le
va-et-vient. Entre 1922 et 1923, les retards ne cessaient de se
répéter. Le gardien d’alors, monté au phare le 6 décembre, n’en était
descendu que quatre-vingt-neuf jours plus tard, en mars. Trois mois de
solitude au milieu d’une mer déchaînée ! On se souvenait encore de sa
tête hirsute, presque folle, au moment de son sauvetage. Une telle
mésaventure se produisait régulièrement dans les phares du Finistère,
notait stoïquement l’ingénieur Le Corvaisier dans ses rapports. Armen
aura finalement son record avec les cent un jours du gardien Noël
Fouquet. Presque une éternité. Bien sûr, les gardiens n’en pouvaient
plus au bout de quelques semaines. Les conserves, le lard, le pain
moisi, les pommes de terre qui pourrissaient dans leur caisse, le
poisson séché, la soupe à l’eau, ils en avaient fait leur lot. Ils se
mettaient à tourner en rond dans leur prison froide et humide en
guettant chaque jour la navette, dans l’espoir de leur retour. Parfois,
ils la voyaient pointer son nez près du rocher, puis repartir, seule,
dans les creux de vagues. Leur journée devenait plus sombre encore.
Après de telles périodes d’angoisse, ils démissionnaient purement et
simplement. Le phare restait bien le pire enfer du Finistère. Ainsi cette vie de galérien du feu continua-t-elle tout au long du XXe siècle, jusqu’à l’automatisation récente.
Et
pourtant, malgré ces souffrances, ces heures d’attente, certains
anciens racontent parfois, avec un brin de nostalgie, leurs soirées
dans la lanterne et ce moment précieux où ils préparaient la lampe,
vérifiaient les citernes d’air et de pétrole. Leurs gestes
s’enchaînaient avec la précision de l’expérience. Le lieu devenait
magique au crépuscule. C’est à cet instant, très court, quand le soleil
était au ras de l’eau, quand la lampe se mettait en marche et balayait
l’océan de son pinceau lumineux, que sa chaleur adoucissait le froid de
la salle, qu’ils se sentaient les hommes les plus utiles du monde.
Témoignage d’un gardien de phare : Louis COZAN :
La
quasi – totalité des gens qui choisissaient de faire ce métier (mais
c’était aussi un choix de vie, je l’admets) vous diront qu’ils l’ont
fait simplement pour gagner leur pain.
Ensuite, installés là haut, l’essentiel de ce qu’ils auront vécu
restera enfoui dans l’épaisseur trouble de la célèbre pudeur des gens
de mer.
A
chacun de déchiffrer sous l’âpre rusticité qui enrobe souvent le
discours, ou dans les artifices de langage dont certains –j’en fais
partie- abusent ; à chacun donc de déchiffrer dans les rares
confidences à ce sujet, la dimension spirituelle de l’aventure.
Car elle est fondamentale et c’est elle qui imprègne essentiellement mon souvenir.
Extrait de mon témoignage dans un article publié dans la lettre mensuelle du site « Phareland » :
« Ancré à son rocher, notre vaisseau de pierre subit tout autant les
assauts de la mer mais il ne peut s’échapper vers un abri même lorsque
les éléments atteignent la démesure. Souvent nous trouvons là haut, sur
la galerie, du goémon arraché à la roche et déposé par une tueuse en
maraude, quarante cinq mètre au dessus du Fromveur. Parfois nous
ramassons aussi des berniques, coquilles fracassées par le monstre vert
et déposées au sommet de la tour, comme un avertissement. »
Et nous en avons trouvés au sommet du phare, particulièrement durant l’hiver sauvage de 73/74. !
Pendant
presque deux mois les coups de vents ont succédé aux tempêtes qui
s’ingénièrent à combler soigneusement les intervalles entre les deux ou
trois ouragans (au-delà de force 12) que cet hiver nous offrit.
Et au début de février la mer ne ressemblait plus à rien de connu…
Notre univers était sens dessus dessous ; on disait alors en riant que notre monde était « chanversé » !
Je considère que j’ai eu une chance inouïe de vivre ces événements dans une tour de mer.
Depuis le sommet du phare nous apercevions dans les creux de houle des
rochers que personne avant nous n’avait vu. C’est du moins ce que nous
nous disions.
Jour et nuit l’océan habitait nos têtes ; nous dormions en tranches
courtes, entre deux chocs qui ébranlaient notre habitat vertical.
Comme
des gosses épuisés devant le numéro d’un artiste refusant d’arrêter son
spectacle, anesthésiés, drogués de beauté sauvage et de violence,
hirsutes et barbus, assourdis du fracas incessant des vagues, nous
traînions dans une étrange fatigue heureuse notre complicité
silencieuse jusqu’à des sommets inconnus de l’amitié.
Et nous vivions heureux au milieu des tempêtes, spectateurs privilégiés
au grand théâtre de la nature et acteurs anonymes de la solidarité
maritime.
Attachés, plus que nous ne l’aurions jamais avoué, à ce que la lumière
du phare reste en ces moments dantesques pour les marins, le chaleureux
clin d’oeil de la fraternité des peuples de la mer.
Cela s’appelle sans doute l’harmonie…
Elle ne se décrétait pas intellectuellement, elle était aussi naturelle que les éléments qui nous entouraient.
Ce qui ne veut pas dire que cet équilibre fut inné.
Le
corps, d’abord, avait du s’accoutumer au froid et à l’humidité, aux
bruits et aux chocs, tandis que l’esprit avait atteint la pleine
acceptation de cette vie.
Et parce que nous étions à notre place dans l’instant vécu, nulle notion de futur ne venait troubler notre équilibre.
Cette tranquillité d’esprit était naturelle, mais peut-on imaginer qu’elle ai pu exister autrement !...
Bien
sûr nous n’étions pas insensible au froid, à l’humidité et encore moins
aux entrées d’eau sous pression qui parvenaient à égratigner pour un
instant la confiance que l’on avait en notre abri de granit.
Elles entamaient surtout notre euphorie béate en nous imposant de longues heures de colmatage, d’essorage et de nettoyage.
Car
nous n’aimions pas que la mer franchisse trop souvent la frontière de
notre univers et s’invite en notre intérieur, salopant le bel
ordonnancement de notre vie…
Elle le faisait, cependant, et nous acceptions qu’elle le fasse, comme
si son rôle eût été de dire que notre présence n’était pas si naturelle
que nous le prétendions !
On pestait alors ! On râlait ! Insultant grossièrement l’orgueilleuse
mégère au visage cruel et laid dont on avait admiré la beauté sauvage
cinq minutes plus tôt.
Irrationnelle attitude, vacillant sans transition et sans cesse de
l’amour à la haine, de la complaisance incestueuse à la rage naturelle
qui en découle.
Je n’ai aucune explication raisonnable à ce rapport étrange mais je
vous suggère de lire, si ce n’est déjà fait, l’excellent « besoin de
mer » d’Hervé Hamon.
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Les
phares sont les traces tenaces de la place des hommes sur cette limite.
Ils sont investis d'une fonction symbolique tandis qu'ils se vident de
leur substance première, plus " terre à terre " : le repérage rationnel
de la frontière maritime du pays.
Ils
sont devenus des lieux d'une mémoire qu'ils n'ont pas produite, mais qui
s'est fixée sur eux. Même privé de toute légitimité technique, les phares
ne sont pas creux, la mémoire des hommes leur donne de la consistance,
c'est grâce à elle qu'ils tiennent encore bon. C'est
à la construction de cette mémoire que tente de contribuer cette exposition.
*
*L'espace
prend la forme d'un sablier dans lequel une échelle géographique intermédiaire,
qui est celle du positionnement des grands phares, perd de sa pertinence.
Le paradoxe est donc le suivant : la France est sans doute le pays où
l'exaltation des phares " sentinelles de lumière " est la plus vivace,
et, dans le même temps, le pays est loin d'être le plus avancé dans la
programmation de leur conservation.
A Ouessant,
le phare de Créac'h est devenu un musée des phares, et d'autres projets
en cours proposent la même conversion
http://www.enpc.fr/fr/documentation/fonds_ancien/phares/LaFindesPhares.htm.*http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=40521
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